lundi 18 juin 2007

Guantanamo, état d'exception et État de droit


La tradition des opprimés nous enseigne que
l'état d'exception dans lequel nous vivons est la règle.
- Walter Benjamin, 1942

Pourquoi la patrie de la liberté a-t-elle mis sur pied la prison de Guantano: symbole du non-droit, de la torture et de l'atteinte à la liberté?

Dans un texte récent paru en 2004, le philosophie italien Giorgio Agamben réfléchit sur l'État d'exception. Tous les États, sans exception, possèdent et ont utilisé une mesure de "suspension" du droit: "état d'exception", "état d'urgence", "mesures de guerre". Que signifie cette mesure qui permet, pour un temps plus ou moins défini selon le cas, de mettre fin à l'application des droits et libertés?

Au Canada, la dernière fois que l'État d'exception a été appliqué, ce fut en 1970 lors de la Crise d'Octobre. À cette occasion, le gouvernement de Pierre E Trudeau avait décrété la "Loi sur les mesures de guerre". Au cours de sa durée, plus de 500 personnes ont été arrêtés et détenus sans mandat ni procès, parfois durant plusieurs semaines. Des perquisitions arbitraires ont été effectués dans des milliers de maisons privée, organisations syndicales et associations étudiantes.
Vous pouvez avoir un aperçu de ces événements dans l'excellent film Les Ordres, de Michel Brault.

L'État canadien avait-il raison d'appliquer ces mesures? La réponse officiel est oui. Le FLQ menaçait l'ordre public et la défense de l'État de droit méritait la suspension provisoire des libertés pour contrer l'insurrection terroriste. N'est-ce pas étrange comme argumentaire? Pour protéger l'État de droit, il faut l'éliminer!

Le questionnement de Giorgio Agamben est simple, pourtant il laisse tout la philosophie du droit devant sa nudité. Le droit ne peut survivre que s'il se contredite lui-même. Le droit n'existe que parce qu'il existe un pouvoir de coercition a-juridique d'où il puise son origine.

En novembre 2001, le Congrès étasunien adoptait un plan de guerre contre le terrorisme. Cela veut dire qu'il donnait carte blanche au Président pour dépenser les budgets militaires et mener les opérations armées comme bon lui semble. Et tout ça au nom de la Liberté et de la Démocratie: c'est là toute l'ironie.

On connaît les actions totalitarisantes que les États-Unis ont établies en vertu de cet état d'exception. La prison de Guantanamo, où sont internés des centaines de combattants ennemis, sans accusations, sans avocats, sans droit. La loi sur la sécurité intérieure au nom orwelien: la USA PATRIOT Act, qui permet la surveillance policière jusque dans le compte de bibliothèque des citoyens.

Tout ces dérives autoritaires nous les connaissons, et nous les déplorons. Nous souhaiterions tous et toutes vivre dans un État de droit, pouvoir avoir la sécurité que l'État protège nos droits, qu'il ne nous opprime pas. Pourtant, nous ne pouvons pas passer à côté de la discussion sur le "comment doit-il le faire". Les faits nous montrent que le droit précède rarement l'utilisation de la violence. Au contraire, le droit suit, le plus souvent, sur les pas de l'État dominant, afin de justifier sur le fait accompli, la puissance qu'il exerce.

3 commentaires:

Simon le champion a dit...

Là tu parles d'un texte qui peut amener une discussion intéressante! Je reviens là-dessus très-vite.

Jonathan a dit...

Important questionnement. L'Article premier de la Charte Canadienne des Droits et Libertés dit :

1. « La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.»

J'avais soulevé la question à la dernière unipop, en parlant du principe que la primauté du Droit change la Violence en Force d'intervention pour le maintien de la paix (ce qui est le principe à l'origine du pouvoir exécutif judiciaire).

Les principes généraux régissant l'analyse fondée sur l'article premier ont été exposés à maintes reprises depuis l'arrêt R. c. Oakes, [1986] Le juge McLachlin résume l'état de la question :

«Les facteurs énoncés dans l'arrêt Oakes demeurent les facteurs généralement pertinents pour déterminer si une limite prévue dans une loi est une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Premièrement, l'objectif de la loi qui restreint un droit ou une liberté garantis par la Charte doit être suffisamment important pour justifier sa suppression. Deuxièmement, les moyens choisis pour atteindre cet objectif doivent être proportionnels à l'objectif et à l'effet de la loi -- en bref, proportionnels au bien qu'elle vise. Dans la détermination de la proportionnalité, il faut tenir compte de trois points: les mesures choisies doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif; elles doivent restreindre aussi peu que cela est raisonnablement possible le droit ou la liberté garantis (atteinte minimale), et il doit exister une proportionnalité globale entre les effets préjudiciables des mesures et les effets salutaires de la loi. »

Exemples concrets : La loi sur les services correctionnels pose le droit du Détenu à recevoir la visite contact. J'apprend, comme agent de la paix, hors de tout doute raisonnable, que cette rencontre vise l'entrée de Coke dans la prison. Après avoir avisé le Directeur (procédures : Règle de droit) j'informe le détenu qu'il pourra recevoir la visite, mais sans contact (atteinte minimale). Je restreint un droit défendu par la loi, car un droit prime : la sécurité de l'établissement, ou encore l'intégrité physique et santé des détenus,etc.

Dans le cas de l'application de l'Article 1, le critère de l'atteinte minimale et de proportionalité doivent être respectés. Un policier est totalement justifié de tordre le bras d'un homme entrain d'en transpercer un autre à coup de couteau. Il n'est pas entrain de détruire l'État de Droit. Il est même justifié par une règle de droit de lui tirer dans la jambe. Il ne doit jamais avoir l'intention de Tuer. Les règles de Droit du code Criminel ne sont pas des insinuations vagues.

Le recours à l'Article 1 n'est pas la Fin de l'application des droits, mais la reconnaissance de la primauté de certains droits. En premier Chef : le Droit à la Vie. Je peux porter atteinte à un droit (par exemple intégrité physique, liberté d'association etc.) si le Droit à la vie d'une personne est en jeu. De là aussi le devoir d'assitance à personne en danger. Dois-je dire que nous fléchissons tous si souvent ? Pensons simplement au Darfour.

Je maintiens que l'Article 1 est nécessaire, que le recours à la force peut et doit s'exercer dans une société libre où règne la primauté du Droit. Je reconnais que ce principe est Bafoué par plusieurs pays qui pratiquent la Torture, la Peine de Mort, L'extermination systématique, l'interruption des Naissances, l'assistance au Suicide, les interrogatoires violents etc. Ces actes ne peuvent pas être justifiés, ne sont pas raisonnables, ne reposent pas sur une Règle de droit et détruisent la démocratie et l'image internationale de la justice. Ces nations ne sont plus des États de Droit, mais des régimes qui détruisent la Justice et la Paix. Ils instaurent un climat de Terreur. Ils instituent le Crime organisé comme Norme sociale. Ils doivent être remis à l'ordre, corrigés, par un Tribunal Pénal international formés par des États de Droit, s'il en reste. Ne soyons pas complices de l'homicide et de la Haine, ne répondons pas au mal par le mal mais soyons victorieux du mal par le Bien.

Beizerno a dit...

Ok! À part le dernier paragraphe, ton texte n'aborde pas mon questionnement. Que la violence soit utilisée dans l'État de droit, que deux droits/lois peuvent se contredire: pour moi ça va de soi.

Le questionnement est super bien résumé par ta propre phrase: «Ils doivent être remis à l'ordre, corrigés, par un Tribunal Pénal international formés par des États de Droit, s'il en reste

Reste-il des États de droit ou sommes-nous dans un "état d'exception" devenu la règle? Pourquoi les É-U peuvent-ils appliquer la suspension du droit, tout en se disant, et que bien des penseurs le répètetent, un État de droit libre et démocratique?